Ouvrir le verbe et boire un verre

édito par Capucine Laroche

Parler haut, parler fort
Parler trop, parler encore

Ça s’agite dans mon cerveau
Tant de mots qui s’y cognent
Ils cherchent à s’envoler
À s’émanciper

Je mélange les lettres et les graphèmes
Et avec un peu de chance
Dans ma main aux mots soignés
Un nouveau vers va fleurir

J’agite les lettres comme des dés
Et par peur de les brusquer
J’observe en douce le résultat

            Aïe
C’est pas mûr
Parler trop c’était sûr
Manque de texture, d’ouverture
Point de rupture

Ne rien dire
Mise en bière
On ferme tout et on attend

J’ai rouvert les yeux
Pour agrandir l’espace de jeux des mots
Qui s’agitent dans mon cerveau  
Afin qu’ils s’envolent à l’intérieur
Et que seulement sur une feuille
Ils s’étalent poétiquement
À l’endroit, à l’envers
Dans un alphabet extraordinaire

Parler haut, parler fort,
Parler trop, parler encore

J’ouvre les yeux, j’écoute le monde
Puis j’ouvre une bière
Et je bois un verre
            Ou un vers
Je ne sais plus – alors parler peu, voire, se taire
Mais rester ouvert

Bonne lecture !

L'énigme de 8h03

un texte de Guy Voluisant

Millie est penchée sur son ordinateur :
–  Stan, tu as vu ce que j’ai reçu ?
–  Quoi ? Où ça ?
–  Là, sur ma boite mail. Le 29, à 8h03.
–  Ah, fais voir.
Stan s’approche de l’écran, déchiffrant les lignes de messages. Soudain :
–  Ah oui, je le vois. Un  /vɛʁ/ ? C’est quoi ? On dirait une erreur de la machine ! Une typographie en folie ! C’est n’importe quoi !
–  C’est l’ordi qui a pris un coup de chaud, ou un survoltage… hi, hi…
–  Ah… c’est autre chose… et si…
–  Si ?
–  Si c’était des gens d’ailleurs ?
–  Mmh… oui… ça fait un peu russe… cyrillique…
–  Oh… je vois ça plus loin…
–  Plus loin ?
–  C’est tellement étrange… on dirait un mot d’une autre civilisation… peut-être… d’une autre planète…
–  Non… comment cela peut arriver ?
–  Oh… les ondes… peut-être ont-ils réussi à capter nos émissions, à s’immiscer dans nos réseaux… ils envoient un prototype, pour voir…
–  Et… ça voudrait dire quoi ?
–  Mmh…   » Bonjour  », peut-être…
–  Ou… c’est quelqu’un qui a fait une erreur de manipulation… son message est parti à son insu… il écrivait peut-être … je ne sais pas… » Je t’aime  »…
–  Oui… peut-être… et elle ne saura jamais, tu crois ?
–  Aie… c’est triste…
–  Et regarde… si on lit à l’envers, ça fait  » Rêve  »… c’est une planète de poètes, de pacifiques… de rêveurs ?
–  Oui… pourquoi pas ?
–  Et, à propos, elle indique quoi, l’adresse ?
–  Rien… j’ai regardé… Il n’y a rien…
–  Ah ?
Stan se gratte le menton, l’air perplexe…

Adrien Braganti

Le lombric et l'abeille

une fable de Marie-Liesse Boutry

Au jardin, ce matin,
Se joue une lutte fratricide,
Entre Sœur Abeille et Frère Lombric,
À coups de jets de terre et de piques acides,
Chacun d’entre eux pensant combien
Il est le plus utile des deux,
Le moins considéré et le plus malheureux.

Accourent ou volent d’autres nuisibles :
Coccinelles, papillons et autres sauterelles,
Qui s’amusent de cette acrimonie risible,
Et tentent de séparer – mais, hélas, vainement –
Des adversaires devenus cruels
Par trop de mécontentement.

Joyaux gâchés

un poème d’Adrien Braganti

Je vois dans ce lopin encore vert,
Nourri par la rosée,
De futures extractions barbares.

Je vois les fragments de ces joyaux gâchés
Et l’interrupteur de cette planète bleue
Qu’il nous a fallu éteindre pour vivre ensemble.

Je vois dans mes cauchemars les espèces décimées
Avec une rapidité digne de la fiction.

Je vois la trésorerie de notre nourricière
Partir en une fumée noire et dense.

J’ai déjà dans la poche les larmes de mes mômes
Et les pointerai vers celui qui prétendra
Que mère nature nous aurait tendue ses reins.

J’ai l’âme qui pâlie en me souvenant
De la quantité de papier qu’il m’a fallu
Pour retranscrire des portions d’innocence.

Quoique moins sanglante qu’une usine de munitions
Ou qu’une pompe à essence, cette obsession
D’écrire sera la trace fuligineuse
Que je laisserai derrière moi.

Si tout se transforme en engrais une fois mis en terre,
Au pied d’un arbre, nous serons quitte.

vε:ʀ cnab, par Lucile Taupin
Philippe Minot

Haïku feuillu

un haïku de Philippe Minot

touffe débordante
du vif viride amas pique
le sec plumet mort

Molière, par April Guillermard

Les mots sont dans le vers comme le vers est dans la pomme

un poème d’Olivier Lefrancq

Une averse me traverse
C’est une averse de mots
Mots alignés mis en vers
Qui débordent des tuyaux,
Des toitures, des gouttières,
Vers à flot et mots-bateau
Mots noyés au fond du vers
Vers à pied ou vers à eau
Vers de terre ou vers amers.

Mots à coque ou à noyau
Vers d’été et vers d’hiver
Mots à fruits, mots à rameaux,
Fleuris à tort à travers
Vers à soi et mot-à-mot
Mots qui frappent, vers-pivert,
Sur l’écorce des bouleaux
Mots qui chantent de travers
Mots-pièges et vers-appeaux.

Mots à nus, nus comme un vers
Vers travaillant du chapeau
Mots perdus dans l’univers
Vers à reprendre à zéro
Mot à battre comme vers
A battre quand il est chaud
A l’endroit et à l’envers
Vers à écrire au recto
A oublier au revers.

Quand plus un mot…plus un vers.

La poésie est une petite nature, par Marion Hivert

À quoi bon ?

un poème illustré de Philippe Chevillard

Incandescence

une nouvelle de Cécile Denier

J’étais arrivée un peu en retard. La salle, plongée dans la pénombre, débordait de monde, de chuchotements, de rires étouffés, de papiers froissés. Je tentais de m’asseoir sur un strapontin, maladroitement sur une demi-fesse et le siège se referma d’un coup sec manquant de me flanquer par terre. Je bredouillais un « désolée » ridicule. Auprès de qui je m’excusais ? J’étais manifestement nerveuse.

Lui, était déjà installé. Personnage apparemment insignifiant se fondant dans la masse du public dissipé, à quelques minutes du lever de rideau. Je le repérais illico, à quelques sièges de moi.

Et la femme apparut sur la scène. Splendide, altière, incandescente. Robe jaune et moulante, vagues noires autour des yeux, paillettes et bijoux scintillants.

Ma luciole, murmurait l’homme… J’apercevais ses lèvres bouger. Je devinais ses mots.

La vie en bleu

un poème de Marie Le Moigne

Marie Le Moigne
Résonance astrale, par Laurent Poliquin

Images

une nouvelle de Laïa Renaud

Ce soir c’était, je crois, le premier soir depuis le début du mois de juin où il n’y a pas eu d’orage. Le ciel était presque totalement dégagé et un vent tiède soufflait, abaissant la température qui autrement aurait été insupportable ; et alors que j’avais fini ma journée de travail et que mes amis étaient soit rentrés chez eux, soit avaient disparu dans le cœur de la ville vaquer à des affaires mystérieuses, je décidai de rentrer chez moi en empruntant le chemin plus long mais plus poétique des Amidonniers, faisant reculer ainsi le moment où ma journée s’achèverait et qu’elle laisserait sa place à une nouvelle que je voyais déjà teintée des couleurs de la routine. Je quittai donc la place Saint-Pierre et les quais de la Garonne bondés pour rejoindre la Coulée Verte.

Errant dans les heures...

un poème de Laurent Poliquin

Ô nostalgie des formes oubliées
instants passés instants chéris
autrefois je voulais
ces gestes oubliés
si intimement nécessaires

revenir sur les traces
répéter en douceur
le doux nom du voyage
solitaire près de la source
des couleurs

prolonge l’heure
touche l’écorce
caresse le banc
fait le vœu d’une étoile naissante

monte vers la chapelle
ignore la foule
ouvre la grille
du cimetière
partage le silence

n’est-ce pas le temps de renouer
avec le lien subtil
des lueurs des hommes

ailleurs, par Lucile Taupin

Birth of an A.I.

un texte de Réouven Naccache

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