L'exclamation

par Soledad Lida

Réminiscence

©Capucine Laroche

Comment avait-il su pour le trio 63 de Weber ? A peine l’avait-il entendu que les circonstances dans lesquelles cette œuvre avait été exécutée s’étaient imposées à lui dans leurs moindres détails. Cela se passait un soir d’été, bien avant sa naissance, dans une ville où il ne s’était jamais rendu, au rez-de-jardin d’une maison dont il ignorait l’existence. Dès les premiers accords, la lumière avait traversé les vitres polychromes au-dessus de l’entrée pour se frayer un chemin jusqu’au seuil du salon. Là, entre des murs tapissés de bleu pâle et une porte-fenêtre inondée de lierre, il s’était enivré de la mélancolie sinueuse de l’andante, tout au loisir délicieux de la flûte. Plus tard, l’allegro l’avait rendu fou. Les mains voletaient sur le clavier et les bras lui semblaient vouloir se détacher du tronc, violemment rejeté en arrière. Quant au violoncelliste, dont l’espièglerie compensait la petite taille, il se tournait parfois vers une quatrième personne, restée en retrait. C’était pour elle, dans l’angle, que ce concert était donné. D’où sortaient ces gens ? Il n’aurait pu le dire. La cascade finale le secouait d’une joie incompressible qui le faisait chavirer, sautiller, frémir. Le lendemain, la guerre serait déclarée, la maison désertée ; à coup sûr la poussière recouvrirait les pédales, le pianiste mourrait du typhus. Il fallait donc se hâter, courir là-bas, franchir le portail, monter deux à deux les marches du perron, traverser le vestibule jusqu’au salon aux volutes bleues, à l’heure où le soleil de la fin août roussit le lierre, reprendre sa place sans faute à côté du piano, tant que la flûte n’a pas sifflé sa dernière phrase, tant que l’archet n’a pas tourné la page sur le pupitre.