Le cri

par Geoffroy Gauthier

Nina

©Capucine Laroche

            Assise devant ton compagnon à cordes, tu déploies tes bras comme les ailes d’un oiseau. Du bout de tes doigts d’ébène, tu dévales les marches par volées, tu feintes les accords avec une aisance gracieuse, sensuelle. Lentement, tu captives celui qui sait tendre l’oreille. Sans sommation, tu sursautes ! Tes notes clament, ton calme devient combat, ton émotion, ouragan. Le fleuve tranquille sur lequel tu nous as embarqué se mue, à ton rythme, en mer déchaînée.

            Soudain, tu vibres à gorge déployée, de toutes tes forces, de tout ton souffle, tu te dresses comme un arbre millénaire face à l’injustice, tu rugis plus fort que la tempête, et, à coups de marteaux harmonieux, tu brises les murs invisibles de la haine. Tu doutes, tu rages, tu souffres, mais jamais ta voix ne faiblit, car elle est légion. Ta voix est celle d’un peuple déraciné de force, ta voix est celle des opprimés, ta voix est le phare des identités perdues.

            Chante Nina, chante ! Ta musique est la clé de nos chaînes trop lourdes à porter. Arme toi de cette intensité inépuisable et chante à plein poumons, chante sous le soleil et sous la lune, chante à en perdre la raison, fais résonner ton cri dans tout l’univers, grave ton timbre à travers les âges, hurle ton amour tout entier auquel nous répondons à l’unisson. A chaque chanson tu prends de la hauteur, tu t’envoles, enfin, tu t’affranchis. Et sans t’en rendre compte, sur les portées vierges d’une partition, sur les touches d’ivoire de ton piano et sur le sel de tes larmes, tu écris son nom : liberté.