Le canon
par Milan Lacroix
Le champignon de Paris, à Paris

Voyage francilien, ce n’est pas l’aubaine, mais ça compte tout de même. On se penche ici sur ce que fut l’expérience d’un voyage en métro de Duroc à Châtillon par un vendredi de septembre.
C’était un vendredi de septembre de belle teneur météorologique quand je m’introduisis dans la station Duroc, près de Necker-Enfants Malades. Les passagers de la rame étaient rangés partout, assis ou debout, s’occupant avec des petits riens, remis complètement à la compétence de la machine qui les transportait, dormant parfois ou bien discutant. Il y avait cette femme dont la coiffure se rapportait vraiment à celle d’un champignon, dans le genre champignon de Paris, proportion et symétrie respectées et valeur esthétique similaire. Chose frappante. Comme ça et comme si de rien n’était.
A notre époque, les champignons ne sont pas en vogue afin qu’on leur ressemble. Mais d’aventure, ils le furent jadis. Risquons un “peut-être”. Au commencement des choses, un peu après le verbe, le monde était un grand jardin, et la mer était bleue, les montagnes blanches, les loups nos voisins, les dolmens des cités, les druides non pas encore vaincus, mais tout à fait des druides. Auprès de nos ancêtres farfelus, suivant la pluie les champignons apparaissaient avec leur spontanéité magique, beaux objets sur la terre. Anomalie dans l’ordre des choses que d’apparaître là où la veille encore, il n’y avait rien. Une esthétique pour un mimétisme. Alors l’imagination collective des hommes qui ne s’interdit rien, a pu en faire des drôles d’idoles. A ces mystiques anciens pour qui la fortune de leur espèce ne dissociait pas de celle de leur terre nourricière, nous devons reconnaissance car ils furent nos premiers écologistes. Vers ces quelques aïeux transis de croyances bizarres, imaginaires ou réelles, je lance un salut.
Mais nous nous égarons. Quittons ce passé rêvé et revenons au présent, c’est-à-dire au champignon du métro, quelque part entre Duroc et Châtillon.
Cette parenté de forme inattendue prend au dépourvu l’homme moderne qui se surprend un court instant à se poser la question d’aller récolter le champignon de dessus le chef de la femme qui le porte. Il suffit qu’il reprenne ses esprits pour se rendre compte qu’il ne s’agit tout au plus que d’un simili, et d’ailleurs bien plus probablement que toute ressemblance est involontaire, qu’il n’était pas dans l’idée de cette femme de faire exprès de paraître champignon. Néanmoins cette femme portait bien le champignon, et c’est ce qui me retient ici. Il était seyant sur elle, agréable à l’œil car il présentait du pied jusqu’au sommet du dôme une symétrie quasi parfaite, ce qui rendait son port coquet. Pour décrire les choses : à distance de quelques coudées – nous étions dans le métro, les coudées ne sont pas hors de propos – et à travers le rideau désordonné des voyageurs, j’aperçus une structure ellipsoïdique fongique de couleur noire – le champignon – et sa propriétaire ci-dessous, de couleur noire aussi, en discussion avec une autre femme dont je ne retiens rien de l’aspect.
Joli champignon,
Inutile et ostensible,
Poupon et patachon,
Tu es sis au bel endroit
Ainsi donc pour clore ce voyage en métro et ce récit, paraphrasant le maître des fables, je fais mien cet adage : « Voulez-vous voyagez, que ce soit aux rames prochaines ».
Fin