La faute aux images
par Capucine Laroche
Bleu et ocre

Tout autour d’elle prenait sens quand elle avait les yeux fermés et l’esprit allongé. Elle s’imaginait un monde à elle : un monde fait des clichés qu’elle compose, un monde à l’envers loin de la logique ordinaire.
Sur la toile noire de ses paupières, elle peint un premier trait. Ce sera l’horizon, pense-t-elle. En dessous, elle ajoute une première couleur, un beige doré ; ocre dirait-elle, et ce sera du sable. Je pars aujourd’hui à la mer. Ou est-ce l’océan ? Je ne sais pas encore, je n’ai pas décidé.
Le bleu de l’eau envahit ses yeux. Il déborde sur le sable au rythme des vagues qui s’échouent avec lenteur.
La mer, donc.
Le vent iodé lui monte doucement à la tête et l’odeur bruyante de la ville ne lui manque pas. Elle s’est installée au plus proche de l’eau pour toucher du bout des pieds l’écume qui fondait au soleil.
Mousseux comme le champagne qu’il lui avait acheté hier soir. Pour fêter… pour fêter quoi déjà ?
Elles viennent et reviennent ces vagues incessantes, comme les plus beaux souvenirs qu’elle garde au plus près de son cœur. D’autres s’étaient envolés, un jour de pluie disait-elle. Ils avaient rejoint les oiseaux en s’évaporant du béton trempé. En y pensant, elle dessina trois mouettes au-dessus d’elle, qui vinrent se poser délicatement à côté d’elle, pour goûter à la mousse fraîche et pétillante.
Elle avait dansé, toute la nuit. La mélodie pop l’enivrait, elle vibrait à l’écoute de ces notes rondes et colorées. Dans l’ivresse entêtante du refrain, elle s’était arrêtée un instant, le regarda pour lui offrir ce sourire aux couleurs de la musique, et quand vers elle il s’avança, elle reprit sa danse, frénétiquement.
Les mouettes étaient parties, laissant sur l’aplat ocre de ses paupières quelques traces de leur envol, comme des souvenirs fragiles et volatiles, bientôt recouvertes par la mer qui progresse. Le dégradé du ciel annonce la fin de la journée – pas de dégradation visuelle notable, le ciel s’ennoblit, brûle à l’horizon, flamboie sur les rochers, illuminant le sable qui brille.
Sur sa robe, des paillettes argentées qu’elle aimait montrer sous les lumières multicolores de l’ampoule. Elle brille et sa robe aussi. Elle est brillante et sa robe aussi.
Elle se lève et sort du cadre.
Clic.
Elle brille et le sable aussi.