l'encrier de mathilde

Lumières estivales sur l'île

Accoudée au balcon de la chambre, à la tombée de la nuit, elle se surprend à contempler les couleurs hivernales d’un coucher de soleil parisien. Devant elle, les toits des bâtiments se détachent maintenant du ciel qui n’est plus gris. Le rose, l’orange, le jaune se mêlent pour lui offrir un des plus beaux spectacles célestes. La lumière change, elle s’assombrit et la transporte tout à coup chez elle, à 11 000 kilomètres d’ici. Elle se retrouve alors assise contre un des murs de sa terrasse, les jambes recroquevillées sur son torse, à regarder vers le haut. Il fait chaud, mais la nuit et le vent commencent à apporter avec eux la fraîcheur de la brise marine qui arrive de la mer, un peu plus au sud de la maison. Elle n’est pas toute seule, ses parents sont derrière elle. Eux aussi profitent de leur jardin rafraîchit et de la vue très spéciale que leur offre cette nuit particulière. Aucun nuage à l’horizon, rien ne gâche ce paysage aérien anormalement paré de nuances de rouge et d’orange. Ils l’avaient entendu à la radio quelques heures plus tôt, ils attendaient donc ce moment avec impatience. Ce jour là, un des volcans encore actif de l’île était, une fois de plus, entré en éruption. Ils étaient assez éloignés de ce braiser infernal, mais le ciel, pour eux, se transformait peu à peu en gigantesque miroir incurvé reflétant les couleurs plus que chatoyantes de ce petit volcan perdu en plein milieu de l’océan. En plein mois de décembre, le petit territoire leur offrait un cadeau de Noël en avance. Si la géographie de l’île ne leur permettait pas de passer un hiver sous un beau manteau blanc, elle tâchait de leur fournir une des plus belles couleurs de cette saison: un rouge intense, presque vermillon. Un rappel furtif d’un souvenir d’enfance que le temps a rendu parfait, quasi-magique. La fournaise n’en faisait qu’à sa tête. Plus elle projetait sa lave avec violence et plus les couleurs du miroir s’intensifiaient. Il était même possible parfois, tant le silence était d’or, d’entendre un grondement sourd provenant du petit bout de terre submergé par les flammes. Elle essayait quelques fois de regarder discrètement son père et sa mère, afin de voir s’ils étaient eux aussi perdus dans le surnaturel de cet horizon, mais il lui était impossible de détacher ses yeux plus de quelques secondes des lumières hypnotiques de ces guirlandes naturelle qui clignotaient au loin. À ce moment précis, elle n’était plus ni un corps ni un esprit, mais une seule petite paire d’yeux avides possédée par les teintes et les nuances endiablées qui dansaient là bas.

Dans sa nuque, un courant d’air glacé la dérange, son corps commence à avoir froid, elle sent son esprit qui commence à vouloir s’échapper de cette rêverie inopinée. La voici, en une fraction de seconde, de retour à la fenêtre de son petit appartement parisien. Le crépuscule a laissé place à une nuit noire, sans étoiles. Il est maintenant 19 heures, et les couleurs rougeâtres de ce ciel d’hiver qui réchauffaient un peu son coeur se sont doucement éteintes avec son ressouvenir.

© Mathilde Techer

MATHILDE TECHER