chapitre 3

Il arrive !

Chapitre 3 - Il arrive !
© Bertille Rouland

Elle me tenait en haleine. D’ailleurs, j’avais la bouche sèche, je manquais de salive. Elle continuait à me décrire la maison de sa grand-mère dans les moindres détails. Je songeais à me lever pour me mettre dans une position plus confortable.

Mon bras engourdi était bloqué sous son dos, mais elle avait l’air bien, posée, comme ça, dessus. Je n’osais pas bouger.

Elle me dit :

– Je suis désolée, je fais une courte pause dans mon histoire, mais là il faut absolument que j’aille aux toilettes.

Je me félicitais de lui avoir préparé une grande quantité de thé noir ce matin-là. Je sentais le sang circuler à nouveau dans mon bras droit.

Pendant qu’elle était aux cabinets, je ne savais pas quoi faire. C’est ce genre de moment à la fois trop long et trop court. Je me servis un verre d’eau que je bus à moitié. Je versai le reste dans l’évier. Je me fis la réflexion que ça n’était pas très écolo-responsable. Je posai le verre. Je me grattai l’intérieur du coude puis l’intérieur de l’oeil. J’éternuai fort. Elle cria (sur son pot)  :

– À tes souhaits ! 

J’adore le printemps. C’est poétique. 

Lorsqu’elle revint, elle se rendit compte que nous n’avions plus de papier toilette. Il était treize heures quarante sept. Il fallait environ huit minutes de marche pour arriver au supermarché. Il fermait à quatorze heure. 

Je me retrouvais donc à nouveau seul pendant une vingtaine minutes. J’espérais qu’elle reviendrait avec du PQ, car si elle avait abusé sur le thé, moi, j’avais bu beaucoup de café. Je passai aux toilettes pour vérifier s’il ne nous restait pas un petit bout de rouleau. Je ris en voyant le calendrier accroché au dessus du trône. Je l’imaginais, petite, en train de noircir les cases qui la rapprochaient des retrouvailles avec sa grand-mère.

Je relus ce que j’avais couché ce matin-là sur ma page Word. Je n’avais plus envie d’y toucher avant de connaître ce monstre. J’étais toujours en haleine, et pour la rendre plus fraîche, je voulus me brosser les dents. Le tube de dentifrice était malheureusement vide, contrairement à mon côlon.  

Je lui envoyai le plus rapidement possible un message. « Il n’y a plus de dentifrice !!!! »

Elle n’avait pas pris son téléphone. Il était resté sur l’évier à côté des toilettes. Je vis son écran s’allumer, mon propre message s’afficher. Au-dessus, Le serpent piteux, titre de la chanson qu’elle avait décidé de couper avant de débuter son récit. 

Je l’écoute et elle m’obsède de plus en plus. Alors, je cherche la définition de “monstre” dans le dictionnaire. Sens premier : “Être vivant présentant une importante malformation”. J’attends son retour avec impatience. Après ces vingt minutes, l’histoire aura infusé. Le temps lui aura donné meilleur goût.    

BERTILLE ROULAND