chapitre 1

L’ombre d’un matin

La douceur du premier rayon de soleil dorait sa peau encore endormie. La lumière traversant la fenêtre et l’atteignant délicatement sonnait l’heure du début de la journée. Elle aimait sentir la chaleur encore tiède d’un nouveau jour avant de sortir un pied hors de son lit. Elle aimait la quiétude du petit jour…

– Hmm…

Elle marmonna quelque chose depuis son oreiller…

– Je t’entends écrire, ça me dérange.

Elle aimait la quiétude du matin et ne supportait pas que je la réveille en écrivant sur mon ordinateur ou en faisant un quelconque bruit, aussi léger soit-il.

– Tu ne peux pas attendre que je sois levée pour écrire ?

Non, je ne pouvais pas, cela faisait des jours que je n’avais pas écrit – des semaines, des mois peut-être – et ce matin, j’avais eu envie de verser toutes les phrases que je n’avais pas pu – ou pas su – étaler sur ma page Word…

– S’il te plait…

Elle disait toujours s’il te plait.

© Capucine Laroche

Je l’attendais dans le salon, avec un café pour moi, un thé pour elle, noirs tous les deux. J’avais ouvert la fenêtre pour entendre les oiseaux du jardin de Monsieur Henri. Il accompagnait les oiseaux en sifflotant un air mélodieux, il accompagnait mon café fumant qui commençait à me happer l’esprit. J’observais sa mousse, ces petites bulles qui éclatent, laissant s’échapper l’odeur… cette odeur, si envoûtante, du matin.

L’attendre encore un peu, me disais-je. Je l’entendais depuis le canapé, ce sensuel bruit des draps sur sa peau je l’entendais, et je m’impatientais. Alors je mangeais un biscuit, un de ceux qu’elle avait cuisinés la veille.

Vraiment, ils sont bien meilleurs le lendemain.

Puisque j’avais mangé un biscuit, je bu une gorgée de café, puis une deuxième. Elle n’allait pas venir de toute façon. Pas tout de suite, du moins.

Elle était comme ça, libre et solitaire. Douce et enragée. Je l’avais rencontrée dans un parc, un matin de novembre alors que les feuilles des arbres recouvraient déjà les allées. Elle était assise sur un banc, seule avec ses écouteurs et sa musique qui résonnait dans les miennes – elle chantonnait. Je l’avais vue de loin, dans son grand manteau blanc, je l’avais regardée en douce avant de m’approcher et de m’asseoir à côté d’elle.

– Vous pourriez vous remettre là-bas, derrière l’arbre, s’il vous plait ?

Elle avait commencé un dessin avec une figure humaine qui me ressemblait un peu – pour l’instant. Sans dire un mot j’avais regagné la place que j’occupais avant de la rejoindre.

– Si vous voulez, je vous montre.

Au bout de quelques minutes, je la retrouvais. Elle sentait bon, un parfum fleuri qui s’opposait à la saison. Elle me montrait son œuvre, un dessin – un croquis comme elle aime à les appeler – sur lequel je figurais dans un coin, les feuilles et les châtaignes éparpillées autour de moi.

– Les couleurs, je les rajoute le lendemain. Je les laisse infuser dans ma tête le temps d’une nuit.

Un peu comme les biscuits, avais-je pensé.

– Un peu comme les biscuits, avait-elle ajouté. Ils sont meilleurs le lendemain, vous ne trouvez pas ?

On avait pris un chocolat chaud dans le café bordant le parc et on avait discuté, puis on s’était donné rendez-vous le lendemain au même endroit.

– Désolée, je suis en retard.

Elle était toujours en retard.

Elle arriva dans le salon. Elle prit un plaid et s’emmitoufla dedans avec son thé.

– Qu’est-ce que tu écris ?

Je ne savais pas vraiment ce que j’écrivais. Je racontais une histoire, je racontais comment un matin pluvieux et brumeux de novembre, j’avais rencontré une femme étonnante. Elle m’embrassa et elle mit ses écouteurs pour écouter un podcast, comme tous les dimanches matin.

Elle aimait tant les dimanches. Elle avait instauré des rituels dominicaux, m’embarquant dans un voyage assez fou une fois par semaine. On ne s’ennuyait pas avec elle, on rigolait beaucoup, on imaginait beaucoup, on se projetait beaucoup. À mon grand damne, on ne concrétisait que très peu ce qu’on prévoyait, mais elle était heureuse comme ça, alors ça m’allait aussi.

On avait emménagé ensemble un mercredi de septembre, on écoutait Aretha Franklin pendant qu’on déballait nos cartons, on avait commandé des pizzas et on avait repeint les murs de l’appartement.

Elle écoutait un podcast, elle lisait pendant une dizaine de minutes, elle s’habillait pour descendre acheter exactement ce qu’elle allait manger aujourd’hui – ne jamais prévoir de repas pour les dimanches. En rentrant, elle écoutait de la musique dans le canapé, elle cuisinait, se réinstallait dans le canapé devant son film favori pour déjeuner.

Toute la journée, méticuleusement organisée, tout en donnant l’air de ne jamais l’être. Le dimanche, son jour préféré. Je lui avais demandé ce qu’il y avait de si particulier pour qu’elle se focalise autant sur ce jour de la semaine.

– C’est une habitude que j’ai prise…

Elle avait vingt-six ans.

– Ça remonte à mes dernières vacances chez ma grand-mère. Oui, c’est ça je crois…

Quand elle disait ces mots, elle avait aussi pris l’habitude de s’enfermer sur elle-même, de penser et de ressasser, et alors elle ne finissait pas ses explications, et je n’avais jamais le mot de la fin.

– C’était une amie de ma grand-mère qui était venue nous rendre visite un matin. Il faisait beau, on était au bord de la piscinette.

Mais là, elle avait continué.

CAPUCINE LAROCHE